Montréal Insolite : Guide de la vie nocturne alternative de 1974. Première partie.
LES PARADIS ARTIFICIELS
Si l’on se fie aux manchettes qui apparaissent périodiquement dans nos quotidiens, on pourrait croire que Montréal est la capitale de la drogue en Amérique du Nord.
Il n’en est rien. Depuis plus de vingt ans, à cause de la proximité de l’énorme marché américain, Montréal est le port d’entrée par excellence pour les courriers spécialisés à l’emploi des réseaux internationaux de traficants de narcotiques. L’héroïne y entre à la livre et en repart presqu’aussitôt en direction des U.S.A.
Mais aussi curieux que cela puisse paraître, jusqu’au milieu des années soixante, la consommation de stupéfiants de tout genre était réduite au plus strict minimum dans la métropole.
Il fallut l’explosion démographique de l’après-guerre et la révolution tranquille de Jean Lesage pour que le Québec franchisse le seuil de l’irréel.
Encore aujourd’hui, alors qu’une civilisation parallèle existe vraiment, la consommation de drogues majeures comme l’héroine et la cocaine demeure extrêmement limitée.
En fait, à Montréal, à moins d’avoir de sûres entrées dans ces milieux spéciaux, il est quasi-impossible de s’en procurer. Heureusement d’ailleurs, car faire usage de ces drogues extrêmement nocives est particulièrement dangereux et pour le non-initié, relève de la plus pure aberration mentale.
Par contre, le monde du rêve a un petit côté attachant pour le touriste et y faire une petite incursion est la chose la plus facile.
On oublie trop souvent, quand on parle de drogues que la plus grande partie de la population du Québec en fait un usage quotidien. L’adulte qui fait un drame parce que son fils fait usage de “mari” ou de “haschich” ferait bien de se souvenir que le “dry martini” qu’il s’envoie derrière la cravate tous les midis, comme apéritif, ou que la bière qu’il se tape à la taverne, en fin de journée, contient l’une des drogues les plus nocives qui soient: L’ALCOOL.
C’est même celle qui cause le plus de ravages à Montréal. A long terme, la consommation abusive de l’alcool provoque une forte dépendance physique et psychologique et entraîne une foule de maladies allant de la cirrhose du foie au délirium tremens.
La seule différence entre l’alcool et les drogues mineures est que la première est socialement acceptée et qu’elle rapporte chaque année des centaines de millions aux gouvernements qui les empochent sans aucun scrupule.
En réalité, les adultes qui aiment lever le coude tout comme les jeunes qui aiment “toker un joint” ne deviennent de véritables droguées que lorsqu’ils se mettent à consommer de façon abusive.
On aura vite constaté que le monde de l’irréel est tout à fait spécial, et qu’il a son vocabulaire particulier qu’il faut absolument connaître avant de s’y aventurer.
L’important, c’est d’être “cool”, c’est-à-dire d’être au pas. En même temps que nous passerons en revue ce rapide glossaire, nous en profiterons pour définir de façon générale l’effet des diverses drogues que l’on trouve sur le marché.
Dans la première catégorie on retrouve l’héroine, la morphine et la codéine que l’on nomme “H” prononcé à l’anglaise ou encore “Horse”. Ce sont là des drogues particulièrement dangereuses car elles créent l’accoutumance physique et psychologique.
Normalement les habitués se “Shootent” plusieurs fois par jour. Pour ce faire, ils se servent d’une petite cuiller et d’une aiguille hypodermique. On place la drogue dans une cuiller, on y ajoute de l’eau et on chauffe le tout avec une allumette pour hâter la dissolution. A l’aide d’une aiguille hypodermique on s’injecte directement la solution dans une veine gonflée. Ce procédé s’appelle le “mainlining”. Il est extrêmement dangereux. Sous toutes ses formes, que ce soit en injection, en pilules ou même en cigarettes, ces drogues créent l’accoutumance et on doit les éviter comme la peste.
De nombreux soldats américains qui avaient pris l’habitude de fumer du “smack” au Vietnam (le smack est une cigarette formée d’un mélange de marijuana et d’héroine) se sont rendu compte, à leur grande surprise, qu’ils ne pouvaient plus s’en passer. Et ils ont dû subir une cure de désintoxication aux frais de l’Oncle Sam.
Heureusement à Montréal, comme partout ailleurs au Québec, ce type de drogue est presqu’inexistant. De toute façon il ne faut jamais en faire usage sous quelque prétexte que ce soit et il faut appuyer sans réserve les efforts des forces de l’ordre qui empêchent ce vil commerce de s’implanter chez nous. La “shot” d’héroine, la pilule de morphine ou de codéine se vendent entre $5 et $15 l’unité et un narcomane invétéré a besoin de plus de $50 par jour pour satisfaire ses habitudes. C’est donc un jeu extrêmement coûteux en plus d’être très dangereux.
A Montréal, contrairement à ce qui se produit dans la plupart des grandes villes américaines, c’est la “p’tite mari” qui jouit de la faveur populaire. Il est bien vu, dans la meilleure société, de fumer son “joint de pot” et on retrouve des adeptes dans tous les milieux.
Heureusement, la cannabis satyva, (nom scientifique de la marijuana), ne crée aucune accoutumance et la commission Ledain, après une étude exhaustive du sujet en a presque recommandé la légalisation!
La marijuana, tout comme le haschich qui n’est en fait qu’un concentré, provoque normalement une sensation de calme, d’euphorie ou de bien-être. Et on peut sentir ses relents dans tous les coins de la métropole. Son usage est si répandu qu’il est impossible de le contrôler.
“La p’tite mari” permet des sensations extra-sensorielles qui amènent une expression intellectuelle qui semble plus profonde. Elle a surtout un immense avantage. Au contraire de l’alcool, la “mari” ne provoque aucune agressivité et le lendemain de la veille, pas question de gueule de bois!
Le “hash” (H prononcé à la française) est beaucoup plus puissant et produit essentiellement les mêmes effets. Si on y va avec trop d’enthousiasme cependant, il peut provoquer des effets beaucoup plus profonds comparables à ceux des hallucinogènes.
Une cigarette de “mari” se nomme un “joint” que l’on “toke” normalement en groupe. Il est bien vu de laisser tirer quelques touches à ses compagnons. La “mari” étant une herbe extrêmement sèche, elle brûle très rapidement et c’est la raison pour laquelle on passe le “joint” à la ronde. Ainsi tous peuvent profiter des effets de l’“herbe de rêve” et c’est une excellente occasion de faire connaissance.
Les habitués adorent fumer des “bombes”… des cigarettes qui contiennent moitié haschich et moitié marijuana. Deux de ces cigarettes réussissent à produire un “high” puissant chez trois ou quatre adeptes. Ce palier de l’euphorie est rapidement atteint et se maintient durant trois ou quatre heures. On reste “gelé au boutte” jusqu’à ce que se produise le “down”.
Durant le “high”, on perçoit tout d’une façon différente. La musique, les couleurs et les sons prennent une toute autre dimension.
Un “dime” de mari ou de hash se vend entre $8 et $10. et il est extrêmement facile de s’en procurer car les “pushers” pullulent dans tous les coins de la ville.
La pharmacopée moderne a mis à la portée du grand public des milliers de produits médecinaux. Prix hors contexte et à doses massives, ces pilules produisent des effets très spéciaux qui sont recherchés par des milliers d’usagers. Que ce soient les “goof balls, les speeds ou encore le crystal” ces pilules sont assez dangereuses et provoquent des réactions imprévisibles.
A l’ère atomique, la chimie n’a presque plus de secret et il est maintenant à la portée de n’importe quel étudiant de fabriquer de “l’acide”. Il s’agit du LSD 25, une formule chimique due au grand prêtre Timothy Leary. Cet hallucinogène tout comme le STP, le MDA et la mescaline s’attaque directement au système nerveux entravant son fonctionnement normal et provoquant des hallucinations, des illusions et une sensation de dépersonnalisation. Les voyages au LSD durent entre 6 et 12 heures et il faut prendre garde car ces puissants stimulants provoquent parfois de graves crises d’anxiété et de panique si l’atmosphère n’est pas propice.
Ces hallucinogènes sont à déconseiller et si jamais vous avez l’occasion de consulter les certificats d’analyses produits devant le tribunal à la suite de saisies de ces drogues cela vous passera le goût de les essayer. Dans un cas précis, les analystes ont découvert que le LSD était coupé de strychnine, un poison extrêmement violent.
Il y a une dizaine d’années, seuls les musiciens de jazz et quelques initiés connaissaient la marijuana. Ceci dura jusqu’à ce que la doctrine hippie s’installe à demeure dans la métropole.
La “philosophie de la fleur” mit à la mode la recherche de la vérité et de l’irréel. Au tout début, les adeptes de la “mari et du LSD” poussaient à fonds leurs expériences pour atteindre de nouveaux sommets intellectuels. En fait, ces drogues mineures étaient l’apanage de ceux qui pensaient et qui voulaient créer un monde nouveau à partir d’une philosophie non-conformiste.
Ce petit monde se réunissait à l’époque dans des petits cafés borgnes situés rue Clark près de Sherbrooke. On se rendait au El Cortigo et à la Paloma comme on se rendait à l’église. On partait à la recherche de l’absolu. Cela ne fit qu’un temps. Puis ce fut l’époque de la petite Hutte où les premiers pushers eurent pignon sur rue. Encore que, dans ce temps, le nombre des habitués étaient très limité.
Puis la petite “mari” franchit allègrement une frontière. Le marché se développa rapidement. Les sources se firent plus nombreuses. On se lança alors dans l’importation, sur une grande échelle. Les amateurs purent goûter aux délices de la “ganja” jamaïcaine, du vert tabac de Colombie avant que les experts en commerces illicites ne se rendent compte qu’il était beaucoup plus facile d’importer du haschich, un concentré qui occupe un volume beaucoup moins important.
C’est alors que l’“Or libanais” fit son apparition sur le marché suivi du brun haschich de Kabul, Afghanistan. On emploie toutes les ruses pour déjouer les douaniers… des tables de style sculptées dans du haschich solide, des manteaux de peau de chèvre littéralement truffés de haschich, etc.
Dernièrement d’habiles contrebandiers découvrirent une passe sensationnelle. Ils importèrent du Liban pas moins d’une tonne et trois quart de haschich pur dissimulé dans des boîtes de conserves devant contenir de la compote aux pommettes libanaises! Cette drogue leur avait coûté plus de $200,000 mais sur la rue, au prix de détail, ils auraient pu réaliser plus de $5,000,000. Quelqu’un vendit la mèche et on découvrit le pot-aux-roses.
Inutile de dire que de tels profits peuvent tenter le diable! On n’hésite pas à jouer gros jeu même si le risque est un minimum de 7 ans de pénitencier en cas de coup dur.
Entretemps eut lieu la fondation de la république du carré St-Louis et l’usage de la mari et du hash proliféra à un rythme tel que le législateur dut amender la loi. Trop de fils de bonne famille, trop d’hommes d’affaires risquaient de se réveiller derrière les barreaux avec un casier judiciare extrêmement lourd à porter. Maintenant la possession simple pour usage personnel de cette drogue mineure ne peut qu’entraîner une amende entre $25 et $100 alors qu’auparavant le tribunal avait le loisir de condamner le contrevenant à six mois de prison.
Cet amendement était nécessaire car de nombreuses personnes dans toutes les classes de la société font maintenant usage de “mari” et de “haschich”. C’est la drogue à la mode dans les salons mondains et dans les discothèques huppées. Et l’on peut s’en procurer, sans grands efforts dans tous les coins de la métropole.
Pour ceux que le monde hippie intéresse, il y a actuellement trois pôles d’attraction à Montréal.
Dans l’ouest de la ville, une faune assez particulière gravite sur les trottoirs de la rue Crescent. On peut y rencontrer tout aussi bien des motards que des aristocrates du plus pur crû qui fréquentent les discothèques du quartier.
Dans l’est de la ville, les hippies se sont regroupés rue St-Denis, aux alentours du Carré St-Louis où ils ont fondé leur propre république. Malheureusement pour eux, l’armée officielle, la Gendarmerie montréalaise, les déloge tous les soirs. Le carré St-Louis a un petit côté particulier. Il est le seul parc de la métropole qu’on ne peut fréquenter passé minuit!
Enfin, il y a le Vieux Montréal où toutes les cultures s’entrechoquent. Les soirs de pointe, on peut respirer des relents de “mari” en circulant Place Jacques Cartier au milieu des touristes, des hippies, des intellectuels et des motards qui ont tous adopté le quartier. C’est un endroit à ne pas manquer.
À SUIVRE DANS LA DEUXIÈME PARTIE!
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