Les débuts de la presse alternative à Montréal, années 1970
NM : Je pense qu’en général, les gens étaient conscients de l’existence des uns et des autres, mais ce n’était pas… il y avait une certaine interaction, mais je ne pense pas qu’il y avait beaucoup de projets communs. Il y avait certainement des traductions et à l’époque, nous avions tendance à faire des face-à-face, donc où vous publiez le texte en anglais d’un côté et celui en français de l’autre, chose qui n’est plus populaire du tout. En fait, tout type de publication bilingue est désormais considéré comme la mort assurée.
LR : Nous en voyons encore un peu à Expozine, mais très peu.
NM : C’est considéré comme un cauchemar au point de vue marketing parce qu’aucune des communautés n’apprécie. Je ne comprends pas pourquoi, mais…
LR : Ce que les futés font aujourd’hui, ce sont des bandes dessinées et fanzines sans mots, mais ça ne peut s’appliquer qu’aux trucs plus abstraits.
NM : Je pense qu’il y avait une grande sensibilisation entre les communautés francophones et anglophones, mais je pense que les gens étaient très accaparés par ce qu’ils faisaient et avaient tendance à fréquenter leur propre communauté.
SD : Il y a une imprimerie que j’aimerais mentionner : Ginette Nault. Elle et son mari étaient des gens incroyablement uniques de qui j’ai amené un livre, je pense que c’est un livre spectaculaire et c’est… In Guildenstern County par Peter Van Toorn, qui était un poète phénoménal. C’est Ginette Nault qui l’a imprimé en couleur et ils ont fait un travail charmant. Ils ont beaucoup travaillé avec les poètes anglophones.
LR : Bon nombre de nos exposants réguliers ont imprimé chez elle jusqu’à il y a environ… Je crois qu’elle a fermé boutique il y a deux ans environ.
SD : Est-ce vrai ? C’est incroyable. Oui, elle doit être d’un certain âge.
LR : Il y a une chose que je voulais mentionner parce que nous voyons un continuum qui débute, dans un sens, dans les années 60 et que nous voyions aujourd’hui prendre forme dans quelque chose comme Expozine qui a ses racines dans ces sortes de pratiques comme les coopérations d’imprimerie et de travailler ensemble pour des événements, la promotion, les affiches ou pour partager les espaces de travail.
SD : Tu as raison parce que je pense que la diversité dont nous parlions quand on décrivait la scène des années 70 qui gravitait autour de la galerie d’art Véhicule, je pense qu’Expozine est tout à fait unique. Quelqu’un est venu à notre kiosque aujourd’hui disant qu’il était allé à une foire du genre à Toronto et qu’il y avait une ambiance complètement différente. Je ne pense pas que vous avez le même genre de tensions culturelles passionnantes et les réalisations que vous avez ici.
LR : Je suis curieux de savoir les endroits où ces publications se vendaient ? Était-ce un peu comme ce que quelqu’un aurait à faire aujourd’hui pour publier leur propre fanzine, mis à part de le publier sur le web, chose qui n’existait pas alors, donc d’aller se présenter en personne dans un circuit de petits magasins qui acceptaient de vendre en consigne ? Est-ce que les kiosques à journaux en tenaient ?
AK : Il y avait trois endroits principaux : The Word, bien sûr, le Double Hook, Judy Mapple’s – elle est une grande partisane des poètes locaux – et un autre grand partisan de poètes locaux était M. George au Argo qui était là bien avant moi.
SD : Et Mansfield Book Mart. Vous pouviez les trouver sur l’étagère du bas en train de ramasser la poussière.
AK : Oui, donc quatre endroits.
NM : Mais à part ça, les publications des femmes étaient très nombreuses. Il y avait de petites publications de toutes sortes qui traitaient des questions relatives aux femmes ; certaines d’entre elles étaient littéraires, d’autres pas, en fait, beaucoup ne l’étaient pas et j’avais une collection énorme. J’ai gardé beaucoup de ces publications. Et vous les trouviez un peu partout. Vous alliez à un événement et l’on y vendait des publications. Les gens vendaient leur propre truc. On les ramassait. Vous alliez à New York et vous pouviez revenir avec 50 exemplaires de quelque chose ou vous alliez à une manifestation à Boston et vous trouviez des choses. C’était juste partout, partout autour de vous. À tous les événements, on rencontrait des gens qu’on connaissait, c’était très underground. Les publications de femmes n’étaient pas vendues en librairies, que je sache. Il y avait le Centre de femmes qui s’est ouvert sur la rue Saint-Laurent. Il était situé au-dessus de la où la Charcuterie Hongroise est située aujourd’hui. C’était le premier Centre de femmes et l’on y vendait certainement des publications. Je ne peux pas me rappeler où je me les procurais. Nous les avions, c’est tout.
LR : Y avait-il beaucoup de rassemblements particuliers, de foires de petits éditeurs ou était-ce davantage organisé autour des lectures où l’on pouvait trouver une petite table avec quelques titres ? Y avait-il des foires organisées pour petits éditeurs indépendants dans les années 70 ?
SD : Non, pas dans les années 70.
NM : Mais il y avait des événements et l’on vendait aux événements. Il y a donc des gens qui se sont réunis autour de causes communes et à ces événements, ils vendaient les publications dont certaines étaient très petites.