À la porte du New Penelope Café avec Allan Youster
LR: Vous étiez chanceux d’habiter à Saint-Laurent à l’époque, non loin de Bonaventure. Ça devait être tout un trajet pour se rendre au centre-ville.
AY: Et bien… Voici une histoire personnelle, j’étais grand pour mon âge à l’époque, cinq pieds huit et demi, pareil à ce que je suis aujourd’hui puisque j’avais 12 ou 13 ans. Puis à 13 ans, ils te donnaient un costume, pour la Bar Mitzvah. Or, pour faire quoi que ce soit à l’époque, vous deviez avoir plus de 16 ans. Il y avait eu ce débâcle dans un théâtre dans les années 1920 (un incendie au Théâtre Laurier), même quand j’étais enfant, vous ne pouviez pas aller au cinéma. Mais j’ai réalisé que si j’enfilais mon costume, je pouvais aller au cinéma. Alors j’allais au centre-ville après l’école, j’allais voir des films, des matchs de hockey. Les places debout au Forum de Montréal coûtaient un dollar. Je disais à ma mère, « Je vais à l’école », puis j’allais ensuite au Forum le matin, attendais en ligne, payais un dollar pour une place debout. Je remontais ensuite sur le bus avec le transfert, et étais de retour à l’école un peu en retard. Je dois avouer, mon père est décédé lorsque j’étais très jeune alors j’avais une grande marge de manœuvre à cause de cela…
Puis le soir j’allais regarder la game de hockey. À l’école secondaire, j’étais grand, je me souviens, j’avais l’air plus vieux. Je pouvais entrer dans les clubs de danseuses – mon favori s’appelait Metropole. C’était en face du Centre Eaton. Vous ne le croirez pas, mais ils avaient des musiciens en direct, saxo, basse et batterie. Ils jouaient ce qu’on pourrait appeler du sax de chambre, du sax romantique, et c’était des musiciens de jazz compétents. J’avais découvert le jazz, le blues ainsi que le folk au Record Centre sur Crescent. Il y a une place de falafel là maintenant. C’était le magasin d’Edgar Jones, on pouvait y louer un album pour 25 sous la semaine. Il y avait toujours des jeunes du Cégep et tout qui traînaient dans le coin, alors j’ai commencé à entendre parler de choses, et j’ai découvert le Penelope Café, sur Stanley. C’était à côté du Stanley Pub, en bas des marches.
À l’étage il y avait le Loon Rousse, une boîte de nuit. Je me souviens une fois d’être sorti du Penelope tard le soir, et devant le Loon Rousse arrive une grosse voiture du genre Cadillac, quatre gars en sortent, ils ouvrent le coffre et en sortent des bâtons de baseball et courent dans la place. Mon ami me regarde et dit, je ne pense pas que ce soit un match de baseball qui éclate là-bas. On est parti de là. Voilà, pour nous, ce que c’était le Loon Rousse.
Le Penelope sur Stanley était très petit. C’était un club de folk, vous vous asseyiez, autour de barils en bois, avec du plywood dessus et une nappe de table à carreaux, sur de vieilles chaises de taverne. Si vous rentriez 50 personnes là-dedans, il n’y avait plus de place pour rien. Mes groupes préférés que je voyais là-bas étaient Luke and the Apostles, de Toronto, Sidetrack, et d’autres concerts de folk. Sean Gagné, Willie Dunn, tous les chanteurs de folk locaux jouaient là. Willie Dunn était le premier gars que j’ai vraiment vu jouer de la guitare slide avec un couteau. Il jouait de la guitare, mais je n’ai pas réalisé qu’il traînait un couteau… je veux dire, j’ai déjà vu un verre, une bouteille, mais le couteau… après avoir joué, il le remettait dans son fourreau et c’était tout ! (rires)
Gary Eisenkraft avait une histoire à propos de Bob Dylan ; il a dit que Simon Ashe avait refusé Bob Dylan à son club de folk. Dylan est venu à la soirée micro ouvert et a joué un morceau dont il existe un enregistrement (Finjan’s 1962.) Quelques mois plus tard, Simon reçoit un appel disant que Bob Dylan allait être en ville. Il pourrait venir à Montréal pour une semaine, ça coûterait 800 $. Simon est sur le bord de la faillite, il dit à Bob, « Désolé, je ne peux pas. » Alors une fois que Bob Dylan est devenu connu, l’histoire de Simon est devenue « J’ai refusé Bob Dylan. » Combien de personnes peuvent dire ça ?
Les clubs de chansons folk n’ont pas survécu très longtemps. Il y avait effectivement le Yellow Door, mais ça faisait partie du campus. Il y avait The Green Lantern, the Back Door au début des années 1970 sur MacTavish et Sherbrooke, mais il fallait littéralement faire le tour de l’édifice pour se rendre à la porte arrière du bâtiment, c’était dans le Prince of Wales Court à McGill, qui plus fût tard démoli. J’y ai vu le Révérend aveugle Gary Davis, le soir de mon mariage en 1970. J’y ai vu Bruce Cockburn au moins deux ou trois fois.
Lorsque le Penelope a déménagé sur la rue Sherbrooke en 1967 (et est devenu le New Penelope), c’était excitant. L’ancien endroit était petit—lorsque Sidetrack jouait là, ils étaient six, et ils avaient deux clavieristes, l’un d’eux avait un clavecin. Il manquait de place. J’étais sans emploi et j’avais exactement 20 ans en 1967. The Penelope avait déménagé au nouvel emplacement et avait besoin de personnel, alors j’ai dit « Je travaillerai là. » J’étais payé six dollars la semaine pour faire la porte—un dollar par jour.
Gary m’aimait bien parce que je suis pointilleux et je que m’occupais de la porte honnêtement. Les gens m’offraient de la drogue, les filles m’offfraient de la drogue et davantage, mais en bout de ligne, tout le monde payait pour entrer. C’est pourquoi Gary m’aimait bien—c’était une business. Payer 2.75 $ était un gros montant, c’était pour un concert comme The Fugs… c’était le genre de concert le plus couru.
Je travaillais 6 jours par semaine, parce que nous étions fermés le lundi. Mais je recevais l’assurance chômage à 27 $ la semaine, donc je recevais 54 $ toutes les 2 semaines. Alors avec les 6$ que je faisais à The Penelope, je vivais comme un roi– ben OK, un roi pauvre ! Mais je pouvais assister aux concerts gratuitement.
Habituellement, nous arrêtions de charger à partir du milieu de la deuxième partie. La plupart des groupes jouaient deux sets, le vendredi et le samedi ils jouaient trois sets et pouvaient continuer passé 1h du matin.
Je me souviens de Muddy Waters, trois parties pour Muddy, et c’était bondé, je veux dire 526 personnes présentes pour la première partie, ça c’était les tickets vendus – ça n’incluait pas le groupe et leur monde, et les deux policiers qui sont entrés gratuitement. Je me souviens que les policiers sont arrivés, ils ont garé leur voiture après le morceau d’ouverture, j’étais à la porte et ils sont entrés uniquement pour regarder Muddy. Deux policiers debouts à l’arrière. Je veux dire, notre capacité maximale pour la place était, officiellement, de 155 personnes.
LR: Bien, c’est similaire pour la Sala Rosa, la capacité maximale officielle est de 200 personnes mais on peut faire rentrer 500 personnes pour les gros concerts. Est-ce que c’était environ de la même taille que la Sala ?
AY: Non, c’était plus petit, c’était vraiment surchargé—nous avions aussi un vestibule alors certaines personnes se tenaient là, et Muddy était comme dans une autre pièce, mais c’était pas grand. La scène ne faisait pas plus qu’un pied ou un pied et demi de haut. Il n’y avait pas d’enseigne sur la devanture, uniquement sur la porte.
Sidetrack étaient supers, ils étaient comme le groupe-résident du New Penelope. Maintenant à New York, au Café a Go Go, le groupe-résident était le Paul Butterfield Blues Band pendant six mois, puis Sidetrack ont pris la relève. Ils étaient si bons que ça ! Sidetrack ressemblaient plus à Butterfield sur le premier album, de l’harmonica, du blues classique, avec une inspiration jazz. Le gars au clavier jouait un piano électrique Rhodes et l’autre gars jouait un clavecin fait maison. Leur chanson-thème sonnait comme suit, « Let me be your side track — until your mainline comes » (Laisses-moi être ta digression – jusqu’à ce que vienne ta ligne de conduite). Il y avait J.C. Lewis, petit, cheveux bouclés, il portait des lunettes de soleil rondes comme John Lennon, jouait l’harmonica, superbe voix, conduisait une BMW maganée, et s’habillait en cuir. Il est mort d’un cancer de la gorge, très, très jeune. Le batteur était de Miami. Le noyau du groupe était de Montréal.
L’autre musicien du Penelope était Jesse Winchester. J’étais chanceux d’être là quand il est entré avec son étui de guitare pour voir Gary. C’était une audition. Il monte sur la scène, il a son bel ampli Fender blanc avec reverb, il joue Yankee Lady, Black Dog, et j’oublie la troisième chanson. Gary a vu en lui un auteur-compositeur prometteur, et sur sa guitare électrique il avait le trémolo dans le tapis pour « Black Dog ». Gary lui a dit, « Quand personne ne joue ici, tu joueras ici. Quand quelqu’un joue ici, tu ouvriras la soirée. » Jesse s’est plus tard associé au gars de The Band. Chaque fois qu’il jouait là, il jouait une autre chanson qu’il avait composée. Il écrivait de nouvelles chansons tout le temps. C’était le genre de gars qui—chaque fois qu’il entrait—disait : « J’ai une nouvelle chanson ». Il était tout simplement exceptionnel, alors c’était toujours lui qui faisait la première partie.
J’ai vu Muddy au New Penelope à deux reprises, Butterfield a joué là deux fois, James Cotton a joué là deux fois. Muddy… quel gentleman il était ce gars, et James Cotton, quel type amusant ! La première fois qu’il est venu, il avait Otis Spann au piano, qui était simplement incroyable ! Lorsque James Cotton débarquait, il apportait toujours avec lui une livre de pot, mais il ne la ramenait jamais avec lui. Rentrer au Canada avec se faisait sans problèmes, mais en quittant, vous ne pouviez pas le ramener avec vous.
LR: Quelle quantité de la livre fumait-il ? Ça c’est beaucoup de pot !
AY: Ils arrivaient avec une livre et ils étaient gelés tout le temps, ils étaient aussi heureux que possible, et avant qu’ils ne repartent—ils le donnaient à ceux qui restaient… quiconque traînait dans les parages du Penelope. On ne pouvait pas fumer de pot à l’intérieur du New Penelope. Gary n’acceptait pas ce genre de choses ! Tout le monde sortait, dans le coin, mais pas à l’intérieur de la boîte. Il était très nerveux sur ce sujet.
LR: Qu’en est-il de ce petit terrain– Bleury Beach—pouviez-vous fumer là ?
AY: On allait à Sherbrooke, au bout de Hutchinson. En ce moment il y a deux hôtels là-bas. Il y avait là autrefois une section avec des bâtiments bas, de 2-3 étages. À côté de ça il y avait le Swiss Hut, puis le Country Palace, qu’on appelait « Cow Palace » (Palais des vaches). Ceux-ci appartenaient tous en fait à la même personne… et s’en tiraient avec un seul et même permis d’alcool, parce qu’ils avaient une porte attenante, mais le Swiss Hut était cotoyé par les hippies-motards-junkies, et dans l’autre c’était de la musique country… deux cultures différentes si près l’une de l’autre… et ils n’aimaient pas les hippies !
LR: Je pensais à ça, parce qu’il s’agissait d’un vieux cliché dans le Sud [des États-Unis]… On le voit dans Easy Rider, avec les « bons petits garcons » qui essaient de tabasser les hippies.
AY: Ce n’était pas un cliché à ce moment-là.
LR: Alors ils les tabassaient, mais ils les toléraient…
AY: Non, bien, ils nous toléraient à la porte à côté et autour, mais pas à l’intérieur du Country Palace : c’était juste pas un endroit pour nous. C’était visiblement hostile et physiquemement hostile. Ils n’étaient pas gentils ! J’avais de longs cheveux, une barbe, et tu montais dans un bus et t’asseyais et les gens se déplaçaient loin de toi… Mais c’était OK, je ne me sentais pas mal. En fait, je bougeais et m’asseyais et regardais jusqu’où je pouvais amener les gens à se déplacer. C’était tellement bizarre !
LR: Alors, le Swiss Hut était l’endroit où si tu voulais boire entre les parties d’un concert, ou même au milieu d’un set au Penelope, tu y allais et tu te commandais des bières puis tu retournais ensuite au Penelope…
AY: Bien, il y avait toujours une pause de 15 min entre chaque partie, qui durait en fait 45 minutes, certaines personnes sortaient fumer une cigarette, boire un verre—ils les enfilaient.
LR: Vous pouviez fumer au New Penelope cependant ?
AY: Ouais, on pouvait fumer… J’avais oublié qu’il y avait des cendriers que je devais nettoyer… on pouvait fumer à l’intérieur, mais pas du pot.
Je me souvient bien de Mike Bloomfield jouant avec Paul Butterfield. Il jouait complètement absorbé dans son voyage. Il était vètu d'un chemisier mauve pâle en bas de la ceinture et ses cheveux. Quelle image !
Bravo pour ce blog.