Juan Rodriguez légendaire journaliste rock et son Pop See Cul
Juan Rodriguez est le journaliste rock le plus estimé à Montréal, une véritable légende vivante ! Au début des années 1960, alors qu’il était encore à l’école secondaire, il a commencé à écrire sur la musique qu’il aime, et a publié l’un des premiers fanzines de musique locale, Pop-See-Cul, de 1966 à 1970. Il a écrit d’innombrables articles sur la musique depuis, pour The Montreal Star, Montreal Gazette et de nombreuses autres publications.
Au printemps 2016, ce fut un honneur de le voir passer un après-midi au centre d’archives d’ARCMTL, feuilletant des exemplaires extrêmement rares de son propre magazine Pop-See-Cul et d’autres publications montréalaises, et nous livrant le cœur de l’histoire comme lui seul peut le faire. Nous avons également parlé de ses années de jeunesse dans le Montréal des années 1950 et 60, au travers de nombreuses anecdotes colorées comme ses rencontres avec Frank Zappa, Janis Joplin, les Rolling Stones à leurs débuts et le dieu local du rock, Michel Pagliaro. La conversation rassemblait Louis Rastelli, le co-fondateur d’Archive Montreal, Alex Taylor, expert en musique locale et Drew Duncan, collectionneur et ami de longue date de Juan.
JR: Juan Rodriguez
LR: Louis Rastelli
AT: Alex Taylor
DD: Drew Duncan
JR: Je suis né en Angleterre en 1948, et j’avais cinq ans quand nous sommes venus ici. Vous savez, en 1953, ils pratiquaient encore le rationnement en Angleterre. J’avais deux sœurs et mes parents se disaient en gros : nous ne pouvons pas vivre avec juste des rations de guerre. Ils recevaient quelque chose comme un œuf par semaine. Même s’ils avaient gagné la guerre, huit ans après, ils étaient encore rationnés! Donc, mon père a obtenu un emploi au service international de la BBC à Londres, dans la section espagnole. Progressivement, il est devenu chef de la section espagnole … Mon père avait une grosse voix, une voix de stentor. Il avait fait un film en Angleterre avec Noel Coward, qui était la star, où il jouait l’Espagnol. Et pendant qu’il faisait ce travail, il avait un second emploi en tant que guichetier à l’hippodrome. Et mon père était un peu un joueur aussi, donc… Ma mère n’était pas trop satisfaite de cela. À peu près chaque semaine, il revenait avec un tas d’argent… mais vous savez, personne ne gagne à jouer. En tout cas, peu de temps après notre arrivée à Montréal, mon père a rencontré Sam Gesser, le représentant montréalais de Folkways Records. Sam a enregistré mon père pour les albums de Folkways, où il lisait des textes de Don Quichotte de Cervantes, et des poèmes de Garcia Lorca (et ils sont toujours disponibles, si vous écrivez à la Smithsonian, ils vont vous faire un CD). Mon père donnait aussi des lectures publiques, je me souviens que ma première visite au Théâtre Gesù était pour l’une de ces lectures. Sam voulait le faire tourner aux États-Unis à cause de la grande population hispanophone du pays, et mon père pour une raison quelconque ne voulait pas le faire. Il manquait un peu d’ambition. Sam était plutôt contrarié parce qu’il pensait que mon père aurait réussi. Sam Gesser était un homme charmant, un gars fantastique. Encore maintenant, je suis en bons termes avec sa veuve, qui est sa deuxième femme, Ruth.
LR: Est-ce que votre père a croisé Allan Lomax à la BBC?
JR: Je pense que la famille a rencontré Allan Lomax une fois. J’ai entendu dire qu’il avait reçu de la musique d’Espagne et d’autres pays d’Europe après avoir été chassé alors qu’il évitait les chasses aux sorcières commises aux États-Unis …
LR: On en parlait tout à l’heure, ma spéculation est que votre père aurait été dans la guerre civile espagnole …
JR: Oui, il s’est implique, et il nous en racontait des histoires terribles. Mon père a combattu du bon côté, mais il a été emprisonné deux fois, et la seconde fois il a réussi à s’échapper en France et a rejoint les forces libres de De Gaulle, puis il est monté vers l’Angleterre. En 1960, mon père a remporté un prix en Espagne, le Prix Ondes pour sa voix, et pour la première fois, sous Franco, il avait l’assurance que rien de mauvais n’arriverait et il voyagea pour obtenir le prix. C’était la première fois que j’allais en Espagne.
LR: A-t-il jamais fréquenté le club espagnol?
JR: Il l’a certainement fait, au grand désespoir de ma mère. Et parfois, il faisait le trifecta; Blue Bonnets, Club espagnol, cognac, etc … C’est là qu’un certain nombre de Québécois comme Claude Péloquin se retrouvaient.
DD: En passant, dans quelle rue habitais-tu dans Côte-des-Neiges?
JR: La première place était sur l’avenue Dupuis. Ensuite, environ un an ou deux plus tard, nous avons déménagé sur l’avenue Van Horne, au 5393 Van Horne.
LR: Dans le quartier de Côte-des-Neiges, je présume que c’était déjà, comme ça l’est aujourd’hui, une terre d’accueil pour les immigrants …
JR: Non, Van Horne était juif, nous vivions dans cette partie-là, avant que la Côte Saint-Luc ne commence (là où beaucoup d’entre eux se sont par la suite déplacés). Quand nous habitions là, Côte Saint-Luc était juste un parc immense, immense. C’est là que nous jouions, enfants. Vous marchiez tout droit à la fin de Van Horne et tout d’un coup vous vous retrouviez dans les bois.
AT: C’est également avant l’autoroute Decarie, n’est-ce pas ?
JR: Oui.
AT: Je suppose que c’était pratique pour votre père, avec l’hippodrome Blue Bonnets pas trop loin …
JR: C’est tout à fait exact (rires).
AT: Y avait-il à l’époque des endroits où les jeunes pouvaient se promener, le long de Décarie ou ailleurs, et voir des concerts?
JR: Pas que je sache.
LR: Vous deviez être trop jeune pour aller voir les artistes au Ruby Foo’s et dans ce coin-là…
JR: Oh, je connaissais ce coin pour sûr. J’étais souvent le seul non-juif dans ma classe, Westville High School était 96 ou 97% juive, donc chaque fois qu’ils avaient des vacances juives, j’avais des jours de congé. Deux années de suite, j’ai été président de ma classe. Nous étions trois personnes en course et ils étaient tous juifs ; l’un d’eux était Corky Laing. Il était dans ma classe, un gars très ambitieux…
AT: Est-ce qu’il jouait déjà des percussions à l’époque?
JR: Oh, oui.
AT: Vous êtes restés en contact?
JR: Oui, quand j’étais sous contrat pour The Montreal Star, j’ai fait une entrevue avec Corky.
À l’époque où j’étais au lycée, JB et The Playboys était LE groupe de Montréal. The Haunted étaient le groupe « underground », entre guillemets, mais JB et The Playboys avaient réellement des succès. Les premiers palmarès musicaux à Montréal ont lancé The Beau Marks, qui ont fait Clap Your Hands. C’était autour de 1960, et ils ont eu une certaine popularité dans quelques régions des États-Unis.
LR: Quelle était la première fois que vous avez assisté à un de ces concerts? Je suppose que c’était organisé dans un club de curling ou quelque chose comme ça quand vous aviez autour de treize, quatorze ans? Était-ce après les Beatles chez Ed Sullivan?
JR: Bien, je savais tout [du contenu des émissions] d’Ed Sullivan avant tout le monde, parce que ma mère obtenait The Observer de l’Angleterre …
LR: Commandiez-vous directement des albums importés de l’Angleterre?
JR: Non, mais j’ai commencé à amasser des trucs localement. Évidemment, vous deviez vous décider dans ce temps-là ; Beatles ou Stones. J’étais un type des Stones parce que je me félicitais d’être la première personne en ville à avoir su qui les Stones étaient vraiment. Je me ruais souvent au Queen Mary Boulevard, il y avait un magasin de jouets juste à l’ouest de Décarie qui vendait des disques à l’arrière, et c’est là que j’achetais mes vinyles. À cette époque, je me suis procuré Not Fade Away, évidemment…
AT: C’était le premier album qui sortait au Canada, je crois?
JR: Oui. Mais ce dont je suis vraiment fier, c’est que j’avais les singles de Phil Spector et j’ai eu la collection presque complète. Pour moi Phil Spector était le meilleur producteur, parce qu’il a inventé son propre son.
LR: Vous souvenez-vous de la station de radio que vous écoutiez?
JR: Eh bien, vous savez, CKGM ou CFCF. CFCF avait The Dave Boxer Show, et CKGM avait Buddy G, George Morris. En 64, The Animals ont sorti House of the Rising Sun, ça durait six minutes de long ! Parfois Dave Boxer jouait les six minutes en entier, d’autres fois il diffusait une version radio. Mais Dave détestait ce morceau. Il a lancé un concours, «Pourquoi j’aime The Animals», pour lequel j’ai écrit une sorte d’article savant sur le blues, et j’ai gagné. J’avais seize ans. J’étais ravi d’entendre Dave Boxer dire « Je déteste encore The Animals, mais ceci était un très, très bon article… »
LR: Est-ce le premier moment où vous avez commencé à écrire?
JR: J’ai écrit pour l’album des finissants. Ce n’est que lors de ma dernière année au secondaire que je me suis décidé à contribuer quelque chose.
LR: Vous voulez dire contribuer au journal de l’école ?
JR: Nous n’avions pas de journal scolaire. Ce que je faisais était des caricatures, elles ont été appelées Pop-See-Cul Cartoons. Je les épinglais aux babillards.
LR: Le jeu de mots était de votre invention?
JR: Oui, absolument. Et les francophones, ils trouvaient que le titre de la revue écorchaient vraiment les yeux, je veux dire, ouf ! Mais je n’avais pas la moindre idée que Cul signifiait cul… Pour moi c’était simplement « Pop », « See », pour l’œil, et « Cul » pour la culture. Pop-See-Cul, un jeu autour du mot popsicle.
LR: Vous aviez donc dix-sept ans quand vous avez commencé à publier Pop-See-Cul ?
JR: Oui. À l’époque, ma mère voulait que j’aille à McGill, mais mes notes n’étaient pas suffisantes. Je pouvais aller à Concordia, mais pas à McGill. Ma mère, un peu snob, voulait que j’aille à McGill ou rien. Elle a dit: «Et bien, si tu ne rentres pas à McGill, tu vas devoir travailler.» J’ai donc trouvé un emploi au courrier de la Montreal Engineering Company, qui était directement en face du Montreal Star à ce moment-là. Je n’arrêtais pas d’aller et venir là-bas, je travaillais six mois et puis je quittais, puis je revenais. Finalement, j’ai été nommé chef de la salle de courrier. J’ai imprimé les premières éditions de Pop-see-cul sur leur miméographe.
Nanette étant originaire de Jackson.C'est du moins ce qu'elle raconte dans son autobiographie.