Montréal Underground Origins Blog

Garth Gilker du Santropol et le People’s Yellow Pages

17.08.2016

GG: Oui. À l’époque, à la fin des années 1960, il n’y avait pas beaucoup de commerces alternatifs. Je dirais presque que la plupart d’entre eux furent lancés par des réfractaires un peu plus tard, c’est à ce moment qu’une tout autre scène a vu le jour.
LR: The Prag est la seule chose qui a tenu le coup pourtant, je pense qu’ils ont ouvert au milieu des années 1960…
GG: Oui, je me souviens du Prag, et parfois, s’ils avaient une bonne, belle publicité, je leur donnais une page complète.
montreal_peoples_yellow_pages_winter73_42w
LR: Cheap Thrills est l’un des premiers—ça existe toujours…
GG: Cheap Thrills existe depuis toujours !
LR: Et Guy Lavoie (gérant de Cheap Thrills) remonte au temps de la première presse à Véhicule…
GG: Je sais et ce numéro de PYP (couverture avec le lutin) était aussi imprimé à Véhicule Press, parce que Hijack Press et les gars qui travaillaient là ont fini par travailler comme imprimeurs chez Véhicule.
Ceci (couverture jaune) est la toute première version de Peoples’ Yellow Pages parce que ça n’avait pas de nom… Je ne savais pas comment l’appeler– « Yo ! ?? » — et c’est pourquoi il y a deux noms à l’intérieur. Je pourrais donner ici du crédit à Hijack Press, ils ont publié les deux premières éditions. Ils étaient situés dans le bâtiment IATA sur la rue University — IATA ne savait pas qu’ils existaient. C’était opéré par le quart de nuit ; j’entrais dans cette immense salle d’impression avec des tonnes d’imprimantes et des tonnes de papier et il n’y avait personne. On s’est retrouvé à imprimer sur leur papier, imprimer et agrafer sur leurs machines. Toute erreur qu’on faisait, on les enterrait profondément au fond de ces grands barils de papier à jeter, laissé par le quart de jour. Je me souviens de la nuit où l’on a sorti le premier numéro, on a mis les boîtes sur plusieurs grands chariots, on est descendu par l’ascenseur, on est sorti de la porte avant et rentré le tout dans un camion emprunté, si vite que le gardien de sécurité n’a même pas bougé. Ils ne savaient même pas ce qui se passait – personne ne s’y attendait, on s’est juste enfui comme ça de cet endroit ! (rires) Le lendemain, de nouvelles règles et de nouveaux règlements ont été établis à IATA, parce qu’ils n’ont jamais su ce qui avait été sorti de la place ! (rires) Ça s’appelait Hijack Press parce que bien sûr IATA c’était l’Association internationale du transport aviaire de l’organisation des Nations Unies…
Alors c’est ainsi que le premier numéro est arrivé, puis tout d’un coup un journal a eu vent de cela et a écrit sur le sujet. Nous en avons seulement imprimé autour de 500 copies… et maintenant une presque pleine page de revue dans le journal… on pouvait en vendre un millier !! Mais nous n’en avions pas des milliers. Si nous avions eu l’argent, nous aurions pu en faire de plus grands tirages, et nous aurions fait plus d’argent…
montreal_peoples_yellow_pages_winter73_90w
LR: Et puis le prochain, qui est celui que j’ai vu le plus couramment…
GG: Celui avec la croix sur la couverture a été fait sur la Rive-Sud, en raison de la reliure et tout.
LR: Était-ce fait à Payette & Simms par hasard ?
GG: Oui.
LR: Combien en avez-vous imprimé de celui-là ?
GG: Près de 5 000 je crois. Il s’agissait d’un assez bon tirage pour le Canada à l’époque. Je me souviens d’une édition sur laquelle je travaillais pendant un certain temps, je me suis rendu à CHOM et le gars était en ondes, je le lui ai juste tendu et il a dit : « Oh ! On a entendu que c’était en cours de production » et il a demandé où ça se vendait. Alors j’ai dit : « Dans tous les lieux alternatifs comme Labyrinth », et je lui ai dit : « Ne mentionnes pas Classics [la chaîne de libraires] ». J’étais entré chez Classics et leur avait demandé s’ils voulaient en vendre, et ils avaient refusé. Je suis entré dans la voiture après ça et sur la radio il est en train de dire : « C’est disponible chez Classics » (rires) ! Alors le lendemain j’entre chez Classics et ils disent : « Nous avons été inondé d’appels téléphoniques au sujet de ce livre à notre magasin à Ville Mont-Royal au centre commercial Rockland. » Alors j’ai dit : « Voudriez-vous vendre le livre ? » et cette fois ils le voulaient.
LR: Classics c’est celui qui est devenu Coles et puis Chapters, c’est ça ?
GG: Ouais, et ils avaient la plus grande librairie sur la rue Ste-Catherine Street près de Crescent à l’époque. Un grand avantage était qu’ils le classifiaient comme un genre de guide d’information-de voyage, qui était mon intention de départ, alors c’était toujours auprès du caissier—le meilleur emplacement possible que tu pouvais avoir pour un livre !
LR: À combien les vendiez-vous ?
GG: J’ai basé le prix sur ce dont je pouvais moi-même me permettre, mais ce que j’ignorais c’était que je ne pouvais pas me permettre d’exister ! Même le café quand ça venait d’ouvrir… Je vendais du jus d’orange frais pour 80 sous le verre et ça me coutait dans ce temps-là 1.10 $ à faire, et je pensais que 80 sous c’était tellement d’argent que j’étais chanceux de les avoir. J’ai même pas pensé calculer les coûts. Une fois que les coûts furent calculés, j’étais assis là et me suis dit : « Que diable !? » Non, non—le prix était tout simplement arbitraire, c’était ce que je pensais pouvoir me permettre. Est-ce que j’ai fait de l’argent ? Non !
pages_jaunes_des_montrealais_30w
LR: Mais l’impression — même si vous payiez parfois après la publication — je suppose que c’était assez abordable.
GG: Je ne m’en souviens pas. J’ai encore toutes les plaques de l’imprimante, non pas les plaques de métal, mais les plaques de papier que j’avais faites avec de la colle d’impression et du t-carré (t-square). Je me rendais à Véhicule Press pour tout faire imprimer. Pour vérifier s’il y avait des erreurs d’orthographe, je devais prendre mon couteau X-acto et couper chaque mot et puis le remplacer dans le texte. Ce qui veut dire que s’il y avait une erreur à mi-chemin, je devais couper et tout bouger pour avoir un paragraphe fluide et puis je l’alignais… je faisais comme ça avec chacun d’entre eux !
Et la fille qui faisait les cartes et quelques-uns des dessins—Cynthia, je pense qu’elle s’appelait. Elle était serveuse au Mazurka. J’avais l’habitude de passer du temps là-bas, je prenais de la soupe de nouilles au poulet avec du pain de la boulangerie Rose’s—ils faisaient le meilleur pain de seigle au monde !—et ça c’était sur St-Dominique, en haut de Sherbrooke—et elle me donnait autant de pain que je pouvais manger, voilà ce que je pouvais me permettre… On était en train de discuter une fois—parce que c’était toujours elle ma serveuse—et elle a dit qu’elle faisait de l’illustration. Alors elle a fait toute l’illustration dans la dernière édition.
LR: Je présume qu’en partie la raison pour laquelle il n’y a pas eu d’autres éditions était que vous étiez trop occupé à ouvrir Café Santropol.
GG: C’est exact. En fait, lorsque j’ai ouvert le café, j’étais si impliqué dans les rénovations et dans les préparatifs que quelqu’un m’a dit : « Quel type de nourriture allez-vous servir ? » et je n’y avais même pas pensé. J’allais ouvrir dans une semaine, qu’est-ce j’allais servir ? J’ai sauté sur mon vélo et suis allé au Moveable Feast, qui avait été nommé d’après Hemingway, et qui était un café-restaurant végétarien qui avait des livres alternatifs à l’avant. Alors j’y suis entré et j’ai dit : « Avez-vous des livres de cuisine ? » et il y avait une réédition d’un livre de sandwich de l’époque de la dépression qui m’a plu. Je l’ai pris et l’ai regardé, et j’ai dit OK, c’est bon, voilà comment sera le menu. Ce soir-là, je suis passé à travers le livre et j’ai choisi différents sandwiches et c’est ainsi que les sandwiches sont arrivés ici ! J’ai encore ce livre !
montreal_peoples_yellow_pages_winter73_50A-copyww
Je me souviens aussi m’être rendu chez Stash, il avait le café au Vieux-Montréal, c’était un restaurant polonais et il avait aussi ouvert le marché aux puces près de là. Et il m’a dit, autant que les permis le permettent : « Tu n’as qu’à te trouver une plaque-chauffante : c’est un échappatoire ! Je fais bouillir toutes mes saucisses polonaises sur la plaque-chauffante, je prépare mon borsch sur une plaque-chauffante et tu n’as pas besoin de t’équiper de tous ces conduits et extincteurs coûteux et encombrants puis tous ces trucs », ce qu’aucun d’entre nous ne pouvait se permettre. Alors de façon évidente, je n’allais jamais faire de frites, ou cuisiner de la bouffe sérieuse, parce que la plaque chauffante était la chose la plus simple et c’est pourquoi les sandwiches sont arrivés.
J’ai ouvert Santropol en ’76 le jour de la St-Jean-Baptiste. J’ai fini de le rénover avec l’argent que j’ai eu suite au grand concert ce jour-là. C’était la première année qu’ils tenaient les grandes célébrations sur la montagne—il y avait tellement de monde là-bas, j’ai fait de l’argent en vendant des sandwiches aux gens arrivant ou quittant le concert, j’ai fermé le lendemain, fini les rénovations et j’ai réouvert à nouveau le 4 juillet. René Lévesque est arrivé au pouvoir à l’octobre de cette année-là, et tout le monde quittait Montréal, et j’étais assis là à me dire : « Je dois bien être le seul Anglophone à ouvrir un commerce tandis que le reste d’entre eux s’enfuient ! » (rires) Je me suis dit, « Eh bien, le gars vient de la même ville que moi, alors pourquoi pas rester dans les parages ! »
LR: Ça gardait les loyers abordables !
GG: Ouais ! Lorsque j’ai loué la place la première fois, la partie avant était 50$ par mois. Même à ça, il fallait étirer pour payer le loyer, parce que les temps étaient durs. Mais de nos jours, c’est vraiment difficile d’ouvrir un petit commerce. Lorsque je venais d’ouvrir Santropol, je ne pouvais pas attendre. Judy, l’une des propriétaires de Rainbow Bar & Grill où j’avais déjà travaillé, m’a dit : « Sois certain d’avoir une liste de tout ce qu’ils (les inspecteurs) veulent que tu fasses. » Je me suis procuré cette liste ; ils ne veulent pas te donner cette liste mais je l’ai eue, et j’ai fait tout ce qui y était listé. Puis l’inspecteur entre et me dit : « Eh bien, où se trouve ton filtre à graisse ? »
J’ai dit : « Un filtre à graisse ? »
montreal_peoples_yellow_pages_winter73_119w
Il a dit : « Pour le dessous de ton évier, pour la graisse et l’huile et tout. »
J’ai dit : « Je ne cuisine rien ! »
« Alors, tu n’auras pas de frites ? »
J’ai dit : « Sûrement pas, je n’aurai jamais de frites. J’étais né dans un restaurant qui avait introduit les frites et hamburgers et hot dogs aux Gaspésiens, j’allais à l’école avec cette odeur sur moi, comme une frite, constamment, et la machine à frites a fait brûler la maison toutes les trois nuits et mes parents venaient nous réveiller et nous dire que le commerce était en feu »… on vivait à l’arrière du restaurant.
Mais les inspecteurs ne me croyaient pas. À l’époque, il y avait des pizzerias, des restaurants haut de gamme, des places à hot dog et hamburger, et puis c’est tout ! Ils ont juste supposé que l’on allait vendre des boissons gazeuses, des frites et des hot dogs et que nous devrions avoir une cuisinière pleine de graisse, et j’ai dit : « Non, non, non. »
Éventuellement il m’a eu cependant, pour ne pas avoir de distributeur de gobelets dans les toilettes, et j’ai dû aller en cour. Quand le juge m’a demandé, j’ai dit : « Écoutez, j’ai fait tout ce que je devais faire sur la liste. » Ce qu’ils ne m’ont jamais demandé c’est, avez-vous un permis pour ouvrir ? Et je n’en avais pas !! J’étais ouvert depuis 4 mois avant d’obtenir un permis parce que je n’en pouvais plus d’attendre, et j’ai regardé le juge et lui ai dit : « J’ai ouvert il y a environ 4 mois et maintenant je suis ici pour une inculpation liée à un distributeur de gobelets. » Il frappa violemment son marteau sur son bureau et dit : « Vous avez votre permis ! » Alors c’est en cour que j’ai reçu mon permis pour cet endroit. Le café ouvrait à environ 16h30 et ne fermait qu’autour de 4 ou 5 heures du matin. Alors quand l’inspecteur retournait à la maison, on était en train d’ouvrir et lorsqu’il se rendait au travail, nous fermions. Je suis certain qu’ils passaient par là et se demandaient, « c’est quoi cette place ? Parce que c’est jamais ouvert ! » Pas quand ils étaient dans les parages en tout cas.

Gilker est toujours propriétaire et opère le Café Santropol tout en suivant ses projets satellites de café équitable Santropol, et l’OBNL de popote roulante Santropol Roulant.

Le Café Santropol de Gilker célèbre son 40e anniversaire en 2016.

montreal_peoples_yellow_pages_winter73_114Cww

À la porte du New Penelope Café avec Allan Youster  
 Freda Guttman, artiste et activiste vétéran de Montréal

Laissez un commentaire