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Nightlife de Montréal 1962, une anecdote

12.11.2014

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À bien des égards, le début des années 60 à Montréal marque la fin d’une ère qui avait débuté avec la Seconde Guerre mondiale ; de rapides et profonds changements sociaux s’opèrent. En ce qui concernait la vie nocturne montréalaise, elle était encore peuplée d’individus louches, mais les expériences racontées ici sont d’un autre monde. Cette entrevue avec un Montréalais qui a préféré conserver l’anonymat a été publiée pour la première fois dans la revue Fish Piss à Montréal (Vol. 2, Numéro 1, 2000).

R : C’était en 1962, à Montréal, Canada. C’était sur la rue Sainte-Catherine, à l’angle de Saint-Denis, en plein cœur du quartier où toutes les boîtes de nuit se trouvaient à l’époque. Il y en avait 45 sur une superficie d’environ quatre rues par huit. J’avais quitté mon emploi chez une compagnie de transport et j’étais à la recherche d’un emploi, alors je suis entré au Petit Versailles, une petite boîte de nuit. C’était la mi-août et l’homme m’a dit qu’il avait des problèmes parce que la place était vide. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait et j’ai compris qu’il était découragé. Il avait essayé plusieurs choses, mais sans succès. Sur le coup, je n’avais pas réalisé que ce qui l’empêchait de se tirer d’affaire, c’était la peur. J’étais trop jeune pour le comprendre à ce moment-là, mais j’ai bien vu plus tard que c’était sa peur qui le bloquait. J’ai assumé les fonctions de gérant de salle et en quelques semaines, j’avais organisé quelques spectacles sous une formule très répandue à l’époque soit : trois spectacles par nuit, à 20h, 22h et à minuit avec des danseurs, chanteurs, danseuses nues – mais pas comme aujourd’hui, sans nudité – des jongleurs… bref, un véritable vaudeville, trois fois par nuit.

Le club commençait à bien se porter. Vers la fin août, un homme est entré dans le club. Il vient de Toronto, a environ 28 ou 29 ans. C’est un proxénète. Il a deux ou trois filles qui travaillent pour lui dans la rue, les maisons closes et n’importe où il veut qu’elles travaillent. Il veut que nous prenions les trois filles dans notre bar afin qu’elles puissent travailler à partir de là. J’ai refusé. Alors il me dit que ce sont des danseuses donc que je pourrais facilement les inclure dans mes spectacles et les payer 75 $ chacune comme les autres.

Fish Piss: Chaque artiste se faisait payer 75 $ par nuit à l’époque ?

R : Bien sûr ! Et c’était le minimum, mais ce n’était pas ce que l’homme de Toronto voulait entendre : il voulait le contrôle du club. Je lui ai dit très clairement avant la fin de la première semaine que nous n’avions plus besoin de lui et que c’était tout…

Le jeudi suivant, je suis arrivé au club vers 19 heures. Alors que je tournais la clé dans la porte, j’ai entendu un coup de feu derrière moi. La porte était dans une alcôve et la balle est arrivée … c’était une voiture qui passait, quelqu’un m’avait tiré dessus à partir d’une voiture qui passait devant le club. La balle a heurté le mur à ma gauche, passant juste en face de moi. Elle a heurté la porte, une grande porte en chêne, a rebondi à nouveau à ma droite pour finalement frapper le trottoir. Je n’ai pas été frappé, alors je suis entré et c’est tout. Mais je savais qu’on m’envoyait un message. Si vous tirez sur quelqu’un dans la rue, c’est que vous êtes sérieux. Quand il m’a raté, c’était parce qu’il voulait me manquer, mais le message était clair. Peut-être qu’il voulait me blesser un peu, mais peu importe.

Le lendemain, le vendredi soir, je suis arrivé à 19h comme d’habitude. Marcel était là, c’était le propriétaire. À 19h10, le téléphone a sonné, c’était une voix qui me demandait si j’aimais mon travail, si je voulais garder mon emploi. J’ai répondu que ce n’était pas de ses affaires.

Il m’a dit qu’il savait où j’habitais, il savait que j’avais une femme, trois enfants, etc., etc., etc. Je ne savais toujours pas à qui je m’adressais alors je lui ai demandé : « Que veux-tu ? À quoi joues-tu ? »

Il m’a dit : « Si tu veux garder ton emploi, il faudra qu’on voit des couleurs ».

J’ai répondu : « Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Il a dit : « Bien, la couleur qu’on aime c’est l’orange pâle ou le violet ». C’était bien sûr la couleur des billets de 50 $ et de 100 $ à l’époque.

J’ai répondu : « Ah, ouais ? Combien de fois ? »

Il a dit : « Une fois par semaine comme tout le monde ».

J’ai dit : « Mon gars, je ne connais pas ton nom, mais la seule couleur qui te convient c’est le gris du plomb » et j’ai raccroché.

Deux minutes plus tard, le téléphone a sonné à nouveau. C’était le même homme qui me disait qu’il allait venir me voir le lendemain et que … « OK, mon homme », j’ai lâché en le coupant, « si vous voulez jouer au cowboy, je suis prêt » et j’ai raccroché.

Le lendemain, j’avais toute mon équipe sur place : quatre employés en plus du propriétaire Marcel.

Heureusement, ou malheureusement, je collectionnais les armes à feu à l’époque. J’avais alors pris quelques fusils, mon permis d’armes à feu et je suis allé au club. J’ai donné une arme à chacun et mis en place une stratégie parce que je m’attendais à un affrontement.

Nous étions tous à nos postes et vers 19h30, samedi soir, quatre hommes sont entrés dans le club. C’était des mafieux Montréalais très connus, tu vois ? Pas des grands noms, mais ils venaient quand même de l’échelon supérieur. C’était le capo d’une des familles, son lieutenant et deux hommes de bras très connus. Ils se sont assis au bar et je me suis rendu compte que je connaissais personnellement deux d’entre eux. Ils n’étaient pas des amis, mais on m’avait présenté à eux une fois. J’allais dans les discothèques à cette époque et je connaissais bien le quartier.

Ils ont demandé à Lucien qui se trouvait derrière le bar de leur servir un cognac double. Lucien a commencé à préparer les cognacs, il savait qui ces hommes étaient, il ne les connaissait pas personnellement, mais avait remarqué nos réactions quand ils étaient entrés. Mon équipe s’est mise en poste et ont chargé leurs armes, « clic-clic », au cas où.

Je me suis assis à côté d’eux au bar et je regardais leurs mains ; c’est pas mal ce qu’il faut faire dans ce genre de situation. L’homme à côté de moi était celui chargé d’agir en premier dans le cas où quelque chose arrive. Lucien leur a demandé de payer leur 4 $ pour le cognac et un d’eux a répondu : « c’est sur mon bras, le 4 $ » en lui donnant le doigt d’honneur. Lucien a répondu : « Non, non, vous devez payer ».

À ce moment, l’homme à côté de moi a mis sa main dans la poche de son manteau et je n’ai pas pris de risques, j’ai sorti mon fusil et j’ai crié « Freeze » ! Tous mes gars ont sorti leurs armes aussi et les quatre mafieux se sont retrouvés avec toutes ces armes braquées sur eux.

Je me suis tourné vers le capo, que je connaissais, et j’ai dit : « Juste parce que nous sommes seuls ici et qu’on n’a pas de grosse gang derrière nous, ne pensez pas que vous pouvez venir ici et faire ce que vous voulez ».

On s’est crié après pendant quelques minutes. Puis le vrai chef du quatuor a réalisé que ça ne valait pas la peine, que nous étions vraiment prêts à jouer aux cowboys avec eux et que nous serions aussi fous, aussi stupides ou aussi violents que nécessaire. Alors il a sorti l’argent pour payer le cognac, puis ils sont partis.

Le lendemain, dimanche, deux d’eux sont revenus avec deux autres gars et ils se sont installés à une table. Nous venions tout juste d’ouvrir le club pour la soirée et Marcel a demandé à Lucien d’aller les servir. Nous leur avons donné les meilleurs sièges, ce que nous appelions le « ringside », juste au bord de la scène. Marcel est allé voir s’ils voulaient manger quelque chose, car nous avions une petite cuisine à l’arrière. Il leur a montré le menu et les gars ont commandé quatre salades César.

Lucien est revenu et je lui ai demandé ce qu’ils avaient choisi. Il m’a dit qu’ils voulaient des salades. J’ai pensé : « OK. Ils sont là en tant que clients, il n’y a rien à faire, ils ont payé leurs boissons », etc. J’ai dit à Marcel que j’allais les servir moi-même.

Il a préparé les salades, je les ai amenés à leur table sur un plateau et je les ai servis. Je les regardais dans les yeux tout le long. Ils m’ont demandé combien c’était pour la salade. J’ai dit : « Normalement, elles sont 2 $, mais pour vous c’est 2,50 $ ». Il m’a regardé, a souri puis m’a dit : « Esti que tu as du cran, tu as du cran en criss, p’tit gars. ».

J’ai dit : « Ça, c’est la business, comme vous la faites ». Ils sont restés environ 20 minutes le temps de manger leurs salades, puis ils sont partis.

Je n’ai pas vu le proxénète de Toronto de toute la fin de semaine, mais je savais que c’était lui qui était derrière toutes ces conneries. Le capo m’avait parlé franchement et avait vu mon cran. Vous faites vos affaires et je ferais les miennes et ensemble, on gardera la police à l’écart. Sinon, c’est le Far West. Vous devez être conscient de ces choses-là dans le monde des affaires. Personne ne se tire dessus pour rien.

Le lundi soir suivant, j’ai ouvert le club et tout allait bien, c’était calme. Mardi soir, j’allais ouvrir la porte au même endroit où on m’avait tiré dessus. Je ne suis pas toujours concentré sur ce que je fais, je ne surveille pas tout ce qui m’entoure et je ne suis pas paranoïaque de nature. Je suis donc allé à la porte, je me préparais à l’ouvrir et alors que j’ouvrais la porte, j’ai entendu le bruit d’une voiture tout près du club. Depuis qu’on m’avait tiré dessus, j’étais un peu plus sensible à ces bruits. Ça ressemblait à une voiture qui roulait très lentement, j’ai pensé qu’ils essaieraient à nouveau de me tirer dessus. Alors je me suis collé contre la porte et j’ai regardé vers la rue Sainte-Catherine. La voiture était garée juste en face du club, le moteur était au ralenti et il y avait un homme qui tenait le volant. En fait, il avait la tête sur le volant et deux balles dans la tête. J’ai regardé et j’ai vu que c’était le proxénète. C’est là que tout a pris son sens pour moi.

Il était allé à Casa Loma et leur avait dit qu’il avait le contrôle sur moi et le club, etc. Les chefs n’aimaient pas que cet homme de Toronto, un nouveau venu, arrive et s’essaye avec moi sans leur consentement. Après m’avoir menacé et pensé qu’il m’avait terrorisé assez pour pouvoir faire tout ce qu’il voulait avec moi, il est allé leur raconter toute l’histoire. Eux, ils étaient venus nous voir pour le soutenir, mais au final, le proxénète a fini par les faire passer pour des imbéciles parce que nous étions plus forts que ce que le proxénète leur avait dit. Pour de me faire savoir que tout était maintenant OK, ils ont livré le corps au club. Dix minutes plus tard, j’entendais les sirènes à l’extérieur du club et je n’en ai plus jamais entendu parler de cette affaire.

Si vous voulez voir le trou de balle, vous pouvez toujours l’observer sur la rue Sainte-Catherine à l’angle de Saint-Denis, à côté du restaurant, Poulet D’Ore, qui a récemment fermé ses portes.

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