Endre Farkas, Montréalais et Poète de Véhicule
LR: Fumait-il en classe?
EF: Nous le faisions tous.
LR: Alors il y avait un cendrier sur le bureau?
EF: Ça, tu peux le dire! Mais ce que ces gars-là m’ont appris c’est que tu peux écrire au sujet du monde qui t’entoure, et c’est intéressant. Une partie de moi a développé un intérêt pour les arts d’ici parce que ça se passait sous nos yeux—et que je pouvais en faire partie, et personne ne disait « non, tu ne peux pas. ».
LR: Y avait-il le sentiment que Montréal était marginalisée, étant donné qu’il s’agissait, comme aujourd’hui, d’une communauté minoritaire?
EF: Jusqu’à la fin des années 1960, Montréal était le centre de la littérature canadienne de langue anglaise. Louis Dudek était ici, Scott était ici, Smith était ici indirectement, Hugh McLennan.
LR: Et c’était la métropole du Canada avant que Toronto ne nous dépasse. Les années que tu passais à l’Université avaient un effet transformateur sur la ville et sur les Universités à travers l’Amérique du Nord en général. Étiez-vous là pendant les émeutes des ordinateurs (Computer Riots)?
EF: Non, je faisais parti de l’occupation. (Rires.) Il y avait deux types d’occupations là-bas. La première était celle des étudiants noirs. Ils ont occupé les étages des ordinateurs, et peut-être une semaine plus tard, les étudiants blancs – en solidarité – ont occupé la cafeteria. On a occupé le salon des professeurs de la faculté – c’est à ce moment-là que les professeurs se sont retournés contre nous: quand ils ne pouvaient plus avoir accès à leur alcool. Alors je faisais partie de cette occupation—juste comme corps d’émeute, je ne faisais pas partie des dirigeants.
LR: Et comment cela fonctionnait-il ? Deviez-vous réellement y passer la nuit un certain nombre de jours?
EF: Ouais, on s’est installé, on a amené nos sacs de couchage.
LR: Et les coureurs vont chercher la nourriture?
EF: Bien, on pris le contrôle de la cafeteria alors nous fournissions la nourriture, mais il y avait de la flexibilité pour aller et venir. Ce n’était que vers les derniers soirs, lorsqu’il y avait la rumeur qui courrait que les policiers étaient sur leur chemin, que les allées et venues furent contrôlées.
LR: Alors, ils ne faisaient pas appel aux brigades anti-émeutes à l’époque? Comme pour le mouvement étudiant du carré rouge en 2012?
EF: Oh, non. C’étaient des policiers réguliers et personne, au Canada, n’a connu ce genre de problème auparavant et de ce que je rappelle, on entendait différentes pièces d’information mais supposément il y avait un compromis sur est-ce que les étudiants allaient avoir le droit de repasser les examens.
LR: Ça c’était l’histoire des étudiants noirs, la plainte qu’ils avaient fait au sujet du professeur qui les faisait échouer tous.
EF: Oui. Et puis les policiers ont commencé à entrer lorsque nous pensions que tout était terminé, et que c’était négocié, et que les étudiants noirs avaient commencé à jeter des choses à l’extérieur du centre des ordinateurs, pas tant les ordinateurs que les cartes à perforer—celles-ci contenaient les thèses des étudiants, vous savez. C’est là que vous pouviez entendre d’en bas d’autres étudiants crier « tuer les nègres! »
LR: Oh alors il y a avait une contre-manifestation? Tout comme aujourd’hui, il y a un noyau d’étudiants qui ne veulent qu’étudier et ne pas avoir affaire avec la merde politique.
EF: Oui, et n’interfère pas avec mon droit à l’éducation même si cela signifie que je doive la payer plus chère. On retrouvait habituellement les étudiants en Science politique, en Philosophie et les majeurs en Anglais à gauche, et à droite, les étudiants en Économie et Affaires et en génie. Cela n’a pas beaucoup changé.
LR: Aviez-vous terminé votre occupation lorsque les cartes ont commencé à sauter par-dessus bord ?
EF: Voici une sorte de dénouement en douceur des évènements… J’ai développé une diarrhée la nuit précédente, alors je suis allé à la maison parce que je ne me sentais pas bien, et la nuit suivante les policiers ont fait une descente. Alors je n’ai jamais été chopé grâce à mon estomac.
LR: Mais vous avez des amis qui ont été arrêtés je suppose?
EF: Ouais, mais ce sont principalement les étudiants noirs qui ont été arrêtés, les Blancs ont été relâchés avec un avertissement ou une amende. Les étudiants noirs ont été mis en prison. Je pense que nous étions uniques dans le sens ou c’était la première à part… Il se pourrait que ça ait eu lieu même avant les émeutes américaines.
LR: C’était en janvier, février 1968. Plus tard en 1968, il y avait celle de Kent State et tout ça.
EF: Ouais alors ça c’était unique, personne ne savait quoi faire avec ça. C’était pendant mes années de Baccalauréat – c’est à ce moment que j’ai pris quelques années off pour être un hippie sur une commune. La commune dans les Cantons de l’Est était avec d’autres artistes émergents. L’un d’entre eux a fini par être Chris Knudsen, qui a réalisé plusieurs de mes couvertures de livre, et qui est ensuite devenu enseignant à temps partiel au Département des beaux-arts.
LR: Êtiez-vous complètement coupés de la civilisation?
EF: Pas vraiment, c’était dans les Cantons de l’Est, près de Waterloo, mais dans ce temps-là les routes n’étaient pas aussi bonnes alors c’était à 2 heures de route. Quelqu’un connaissait quelqu’un qui avait 1 500 hectares au-dessus d’une montagne avec une ferme abandonnée. Ils cherchaient des gens pour en prendre soin afin d’éloigner les chasseurs. Nous étions environs huit, on a eu un terrain gratuit, une maison gratuite, sans électricité.
LR: Alors vous deviez faire pousser votre propre pot et vos propres légumes!
EF: Ouais on a fait pousser de l’herbe un peu, je dois l’avouer, mais à vrai dire, il y avait une commune en bas de la route qui était davantage dans la culture de l’herbe ce qui fait qu’on se le procurait chez eux. Nous étions davantage un paquet voulant être des artistes, des artistes visuels, Chris a vécu là-haut pour un certain temps, ainsi qu’un photographe nommé Michel Bonneau. Ma petite amie à cette époque-là – et qui plus tard devint mon épouse – était danseuse. Il y avait aussi des musiciens, et alors c’était plus culturel.
LR: Alors vous aviez des carnets de croquis et des bloc-notes…
EF: Ouais et des machines à écrire. C’était intellectuel, et non un lieu de culte et c’était francophone et anglophone. C’était un mélange –c’est là que j’ai été exposé à Gilles Vigneault, Paul Piché.
LR: Vous rappelez-vous d’écrivains ou d’artistes francophones en particulier?
EF: Dans notre commune? Non. Les francophones qui étaient là étaient plus visuels. Michel était photographe, Claire était une artiste visuelle. Nous partagions tous un emploi payant. À l’auberge du coin, nous étions cinq à se relayer comme laveur de vaisselle, alors nous faisions assez d’argent pour payer la facture d’électricité, et les cinq femmes prenaient chacune une journée pour être serveuses – alors tu travaillais une journée par semaine et, collectivement, nous faisions assez d’argent.
Mais il y avait d’autres communes autour de nous qui étaient plus politiques. On s’est faits arrêtés par erreur une fois par le RCMP parce qu’ils recherchaient l’autre commune; je pense que ça s’appelait : « Québec Libre ». Notre commune s’appelait « Meatball Creek Farm » (tr. : La ferme du ruisseau de la Boulette de viande).
LR: Est-ce que c’était en 1970 lorsqu’ils recherchaient les kidnappers (de la Crise d’octobre)? Parce qu’ils se cachaient en effet dans les Cantons…
EF: Ouais. J’avais une vieille machine à écrire sur le rebord de ma fenêtre qui fonctionnait à peine que j’avais ramassé dans les dépotoirs de la ville et quand les policiers sont venus, ils l’ont confisquée parce qu’ils voulaient voir si ça correspondait à la machine à écrire utilisée pour taper les notes du kidnapping.